Avant d’entamer cet article, petit retour historique sur la Guyane de la seconde moitié du XIXe siècle… alors gigantesque administration pénitentiaire (AP).

APSource : http://lesangesgardiens-ap.blogspot.com

Lorsqu’en 1848, le Code Noir (1685) – dictant les rapports entre les maîtres et esclaves – perdit toute valeur, l’économie coloniale française, reposant alors depuis près de 200 ans sur une société esclavagiste, fut sectionnée en deux. Seule solution pour pallier au manque de main d’œuvre et relancer le développement de la Guyane : faire de la colonie un lieu de déportation où seraient envoyés opposants politiques et délinquants issus de la métropole.

Les bagnes sont créés.

L’année 1854 signe le début de l’enfer. La population pénale est écartée de métropole et transportée dans les colonies, jusqu’en Guyane, pour y être condamnée aux travaux forcés jugés rédempteurs : ces déplacements massifs sont appelés transportation. Au-delà de huit ans de peine, les condamnés restent à vie ; en-dessous, ils pouvaient retourner en métropole une fois leur peine accomplie.

A ses débuts, la commune pénitentiaire s’étendait le long du littoral, son camp central basé à Saint-Laurent-du-Maroni. Les conditions de vie étaient terribles, chaleur et maladies emportant les vies de nombreux forçats, sans oublier la malnutrition sévissant dans certains camps et l’hygiène précaire. L’espérance de vie moyenne dépassait rarement les 5 ans.

Parmi les bagnes les plus célèbres, celui de Cayenne ou celui de Saint-Laurent-du-Maroni. On peut également citer le bagne des Iles du Salut. Cependant, les camps les plus terribles restaient les camps forestiers – baptisés camps de la terreur. Un homme sur deux n’en revenait jamais. Moustiques, insalubrité et malnutrition… Le rythme de travail, abattage d’arbres, y était insoutenable.

Finalement, en 1938 est signée l’abolition de la transportation de la population pénale depuis la métropole. Le dernier bagnard sera libéré en 1954. Les bâtiments de l’AP, abandonnés, furent réhabilités trente ans plus tard, de façon à reconstituer les camps de transportation tels qu’ils étaient à l’époque.

Parmi les détenus célèbres, on peut citer Dreyfus, Seznec et Henri Charrière, alias Papillon.

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Perdu en pleine forêt, se trouve un morceau de l’histoire du passé colonial de la France, tombant en ruines et recouvert désormais par les lianes. Il s’agit du camp Crique Anguille, baptisé plus familièrement bagne des Annamites.

Bâti en 1930, il accueillait majoritairement des prisonniers venus tout droit d’Indochine – d’où son nom, Annam désignant à l’époque le Viêt Nam, les Annamites ses habitants. La région, alors recouverte par une forêt impénétrable, enlève tout espoir d’évasion : c’est là que plus de 500 détenus vivront dans des conditions de vie inhumaines, les condamnés enfermés dans des cellules de 3m² privés, pour certaines privées du moindre rayon de soleil. L’enfer durera 15 ans.

Le bagne des Annamites est situé à 45 km à l’est de Cayenne, au niveau de Montsinéry-Tonnegrande. Aujourd’hui, une petite boucle de 7 km permet d’accéder aux vestiges. La plupart des bâtiments sont en ruines ; restent encore debout, bien que grignotées par la végétation, deux rangées de seize cellules surmontées de barres de métal.

Nous y sommes rendus samedi dernier, arrivant aux alentours de 15h à l’entrée du sentier. Participants à l’aventure : Morgane et Stéphanie, mes colocs, Claire, Damien et Justine des amis, et moi. Bien que la Guyane soit connue pour son avarie en termes de panneaux et d’indications sur les routes, nous trouvons sans souci le chemin qui s’enfonce dans la forêt.

Laissant les voitures au parking, première surprise : la saison des pluies jouant pour beaucoup, la terre est devenue boue, rendant le sentier difficilement praticable. Tant pis pour les chaussures ! Alors que nous jouons les équilibristes, essayant d’éviter les passages les plus boueux, nous croisons d’autres promeneurs en sens inverse. L’un d’eux a carrément enlevé ses baskets et patauge pieds nus dans la boue !

– Après, c’est pire, nous lâche-t-il avec un sourire.

annamites_boue

Ça ne va pas être une partie de plaisir… Mais après tout, on ne se rend pas au bagne les mains dans les poches. Poursuivant le chemin, nous finissons par gagner la forêt, la vraie ! Contrairement à celle qui entoure Cayenne, celle-là est différente : la végétation y est plus espacée, arbres et arbustes séparés de parterres de grandes fougères,  mais la canopée est telle que la pénombre est impressionnante. Il fait humide mais chaud, et nous sommes rapidement en sueur, bien que les rayons du soleil qui parviennent à traverser le plafond végétal se comptent sur les doigts de la main.

Le chemin se fait moins boueux mais ressemble vite à un parcours du combattant entre les arbres tombés en travers qu’il faut escalader ou les criques qu’il faut enjamber : parfois, des ponts formés de planches glissantes ; ou même à un moment, un tronc effondré plein de boue. Il faut prendre son élan sauter et prier pour ne pas glisser ! Sur cinq, deux finiront dans l’eau… (pas moi, évidemment ^^).

annamites_obstacles

Et puis, après bien quarante minutes de marches, un caillebotis – lattes en bois au sol – nous permet d’éviter la boue.

annamites_sentier

Lorsqu’il s’achève, nous débouchons sur une clairière dégagée : au centre se dessine une ancienne voie ferrée installée par les bagnards.

Nous la suivons tandis qu’elle replonge dans la forêt. Sur le sentier, des premières ruines recouvertes par la végétation, un wagon rongé par la rouille ou les reliefs presque invisibles d’un ancien pont écroulé.

annamites_voieferrée

Finalement, après 1h30 de marche dans la boue au total, nous débouchons sur la crique Anguille qui signe la fin du sentier.

annamites_crique

Seul point noir : il est 17h45. Une partie du groupe veut se baigner mais Claire préfère nous prévenir : la nuit va bientôt tomber et elle n’a pas l’attention de se laisser piéger.

Autant vous dire que l’inquiétude nous gagne tous. Je me vois déjà marcher dans le noir total, éclairée par la faible lumière de mon téléphone tandis que je patauge dans la boue, essaye de sauter par-dessus la crique au niveau du passage dangereux, entre serpents et araignées.

Nous profitons donc à peine de l’eau et refaisons le sentier en sens inverse à grands pas. Déjà, vers 18h, la lumière commence à décliner. Vers 18h20, la pénombre est devenue plus forte et dix minutes plus tard, il commence sérieusement à faire noir, la canopée obscurcissant tout. Nous repassons au-dessus de la crique sans tomber puis approchons enfin de la fin, courant presque entre deux flaques de boue.

Victoire ! Nous y sommes arrivés !

Quelques photos de l’état de nos habits : à gauche, Stéphanie ma coloc ; à droite, moi.

annamites_fin

Je découvrirai plus tard qu’avec toute cette précipitation, nous avons manqué le vrai visage du bagne, à avoir les ruines des maisons et les fameuses cellules de l’autre côté de la boucle que formait le sentier… et que nous avons évité, préférant revenir le plus vite possible aux voitures. Les vrais boulets.

Pas le choix, il faudra donc revenir… mais en saison sèche !

En bonus, une photos des cellules, tirée d’Internet…

annamites_bagneSource : http://www.cartesfrance.fr