L’aventure se poursuit avec Yui et Tetsuya… De retour du Simien, nous voilà débarqués à Gondar pour deux jours, affaires et sacs de randonnée dans les bras. A l’assaut des châteaux !

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Petite parenthèse historique…

Au cours des premières décennies du XVIe siècle, l’histoire de l’Abyssinie s’est couverte de sang. Lorsque l’émir Mahfuz déclare le djihad (guerre sainte) contre les chrétiens, un premier affrontement est remporté par l’Empire éthiopien ; un second assaut des forces musulmanes lancé par Ahmed dit le Gragn («le Gaucher ») engendrera 18 années de désolation qui mèneront l’Empire au bord de l’abîme.

Sur le point de s’effondrer, le royaume abyssin fait alors appel au roi du Portugal : ensemble, les deux armées infligent une sévère défaite aux musulmans en 1543. Débarrassés de la menace islamique, les Ethiopiens vont cependant faire l’objet des projets des missionnaires catholiques. L’un d’eux, le père Pero Paez finit par convertir le roi alors en place qui tente ensuite de convertir ses sujets. C’est sans compter l’insurrection populaire qui éclate alors, soutenue par le clergé orthodoxe, poussant le souverain Suseynos à abdiquer.

Monte alors sur le trône le roi Fasilidas (16632-1667) fils de Suseynos, expulsant du même coup les jésuites du pays et rétablissant la foi orthodoxe traditionnelle. Le nouveau roi s’établit au sein de la ville de Gondar et y fait construire d’imposants châteaux : la ville devient alors un véritable centre culturel où art, érudition et musique sont célébrés.

Gondar devient dès lors le centre du pays : proche du lac Tana, cœur historique et spirituel, la nouvelle capitale de 60 000 habitants est le carrefour de grandes caravanes qui viennent d’Inde, d’Europe, du Moyen-Orient. Or, ivoire, café, épices, perles, esclaves, étoffes, parfums, on y échange de tout. En 1885, la ville sera pillée par l’empereur Theodoros ; plus tard, l’occupation italienne y développera un quartier européen.

Aujourd’hui, Gondar est la quatrième ville d’Ethiopie et l’un des centres touristiques majeurs du Nord du pays.

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Nous sommes déposés à Piazza, le quartier central où l’animation atteint son paroxysme. Dans les rues, la foule se presse, bien différente de celle de Debre Tabor. Ne serait-ce que les femmes : vêtements traditionnels ont fait place aux tenues modernes, on se croirait presque revenu dans Bole, le quartier riche d’Addis ! Ici, le coût de la vie est plus élevé que dans n’importe quelle autre ville du Nord de l’Ethiopie : on dit que 80% des habitants de Gondar aurait un parent installé à l’étranger, en Amérique ou ailleurs. En résulte une aisance de vie supérieure et ça se voit ! Je suis d’ailleurs étonnée par le soin apporté aux bâtiments, aux cafés, même aux maisons. Les prix de base grimpent mais le choix aussi : supermarchés, carte des restaurants, tant de possibilités ! Debre Tabor me semble bien loin…

Petit-déjeuner dans le centre : le pain, chaud et craquant à souhait, a des allures de pain français. Nous décidons de nous essayer au petit-déjeuner soudanais, épicé mais copieux, ainsi qu’au « Special », un plat gargantuesque mêlant œufs, tomates, oignons, pain brisé et yaourt, le tout arrosé de thé à la cannelle. Avec tout ça, nous pouvons faire l’impasse sur le repas de midi !

C’est à pied que nous nous rendons alors vers la cité impériale, entourée d’une haute muraille surprenante.

A l’intérieur de la forteresse, les sept châteaux de Gondar. Eh oui, des châteaux en Ethiopie, c’est possible ! C’est accompagné d’un guide que nous allons à leur découverte.

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Première construction à voir le jour en l’an 1640, le château de Fasilidas. Le plus imposant de tous, sans le moindre doute. Gondar a en effet quatre qualités pour favoriser l’implantation de pareil édifice : la proximité du Soudan, la présence de deux rivières d’eau vive, l’absence de malaria (2200m d’altitude) et enfin sa topographie qui donne à la ville une position stratégique, entourée de hautes collines. A l’époque, des sentinelles veillaient à leur sommet et gardaient de grands bûchers. A l’approche d’un ennemi, ils y mettaient le feu pour alarmer la cité. Le château est un immense édifice carré, fait de pierres et de bois. Quatre tours d’angle se dressent face aux différentes églises de Gondar : c’est du sommet de ces tours que le roi priait, le premier niveau réservé aux sentinelles. Nous visitons l’intérieur : salle de réception, salle du trône, salons où la famille royale prenait ses repas, hommes et femmes mangeant séparés. A l’époque, 700 personnes vivaient au sein de la forteresse, 10 000 familles habitant la ville.

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C’est le fils de Fasilidas, le roi Yohannès I (1667-1682), qui achève le château et construit une bibliothèque. Son petit-fils Iyasu Ier (1682-1706) bâtit par la suite un second palais. Sa grandeur et sa magnificence est contée par Jacques-Charles Poncet, médecin français venu du Caire pour soigner le roi. Aujourd’hui, et ce malgré les restaurations, le bâtiment est sévèrement endommagé : la faute à un tremblement de terre en 1704 puis aux bombardements par les avions britanniques lorsqu’en 1940, au cours de la seconde guerre mondiale, les anglais chassent les Italiens d’Ethiopie à la demande du roi.

La cité impériale renferme également des cages aux lions, aujourd’hui vides. Symbole par excellence du pays, l’animal était gardé en captivité ici : on en comptait plus de 24 à l’époque ! A noter que les anciennes traditions voulaient que, afin de se marier, le fiancé devait tuer un animal sauvage pour sa belle – et tuer un lion était un signe de courage et de force suprême…

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C’est l’empereur Dawit (1716-1721) qui est le premier a installé les cages ; il construit également un quatrième palais, le Hall de Dawit, une vaste salle de réception et de cérémonies religieuses où chants et musiques prenaient place.

L’empereur suivant, le roi Bakaffa (1721-1730) qui monte sur le trône suite à l’empoisonnement de Dawit, apporte lui aussi sa contribution à la cité : une immense salle de banquet pouvant accueillir plus de 370 convives, occupée bien plus tard par les Italiens comme quartiers, et d’imposantes étables où les chevaux attendaient d’être montés.

Nous nous arrêtons un instant près des Bains Turcs, construits par Iyasu Ier. A la lueur des bougies, l’ancien roi s’attardait là : on y jetait de l’eau sur des pierres de basalte brûlantes et on y faisait consumer herbes et fleurs pour parfumer la vapeur. Le sauna de l’époque ! A quelques mètres, parmi les ruines, un ancien comptoir où le pan de mur garde encore les anciens emplacements où l’on entreposait les bouteilles. Vous reprendriez bien un peu de tedj ?

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Enfin, dernier palais, celui de la reine Mentewab, épouse de Bakaffa, qu’on peut admirer de loin. Réputée pour sa beauté, la reine a aussi fait construire une sorte de maison de formation pour jeunes filles : on y apprenait comment cuisiner pour devenir une bonne épouse, ainsi que les traditionnels tatouages en forme de croix que les femmes portaient (et portent toujours, exception générale pour la dernière génération) sur le visage.

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Depuis le sommet du château de Fasilidas

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De retour dans les rues de Gondar, nous nous rendons à pied jusqu’à l’église Debré Birham Sélassié. Elle se situe à l’est de la ville, au sommet d’une petite colline. Derrière les hauts murs d’enceinte, un recoin paisible où oiseaux et rapaces évoluent parmi les arbres.

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L’église est un site incontournable de Gondar et pour cause : contrairement à ses sœurs dont la rondeur est la norme, elle est de forme rectangulaire. Sur le toit de chaume, la croix copte et un médaillon à sept branches coiffées chacune d’un œuf d’autruche, symbole de résurrection.

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A l’entrée, les règles sont claires. Vous êtes prévenus !

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A l’intérieur, un décor pictural unique en Ethiopie : le plafond est couvert de chérubins (quatre-vingts visages exactement) dont le regard suit le moindre de nos mouvements. Sur les murs, mille images de saints, martyrs ou rois. Alors que nous admirons les alentours, plusieurs femmes entrent, se déchaussant comme le veut la tradition, vêtue de grands netela, ces châles blancs dont elles s’enveloppent.

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Murmures, prières, elles embrassent le pas de la porte, s’accroupissent devant les représentations de la Crucifixion et de la Sainte-Trinité avant de disparaître dans la seconde partie de l’église, disparaissant derrière un rideau feutré qui s’agite sous la brise.

Nous devinons les flammes de bougies derrière – le pan du voile se referme sans que nous puissions apercevoir quoi que ce soit. Le mystère reste entier…

Nous revenons à pied vers Piazza. Cette fois, nous filons en bajaj hors de la ville : direction le village Falasha de Wolleka, à 3km de Gondar, réputé pour ses poteries.

Les Falashas, ce sont les juifs éthiopiens. Leur histoire en Ethiopie est tumultueuse : les persécutions commencent dès le XVIe siècle. Le roi Sarsa Dengel est le premier à s’opposer à eux ; plus tard, Susenyos leur livre un combat sans merci : exterminés, déportés, il faudra attendre que le fils du roi, Fasilidas, monte sur le trône pour que la tolérance règne. Cependant, les Falashas n’ont pas le droit alors de posséder des terres : ils se font donc forgerons, potiers, artisans et acquièrent une réputation de sorciers.

Bien plus tard, en 1980, Israël mettra en place d’énormes opérations pour rapatrier les siens par avion au pays : des milliers de juifs quittent alors l’Ethiopie pour émigrer vers Israël. Là-bas, leur couleur de peau ne jouera pas en leur faveur… Un film magnifique parle de ce sujet si controversé (Va, vis et deviens). Aujourd’hui, les Felashas sont estimés à quelques milliers seulement en Ethiopie.

A Wolleka, nous pénétrons au sein de Project Ploughshare Women’s Crafts Training Centre. Il s’agit d’une association de femmes seules qui ont décidé de se regrouper et réaliser toutes sortes de travail manuel afin d’obtenir un revenu et élever leurs enfants : on y fait de la poterie de qualité, des vêtements et de l’artisanat. L’association possède aussi un bout de champ où elle y a un verger et y élève du bétail.

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Aujourd’hui, l’association est reconnue et attire de nombreux touristes ; sans compter les nombreuses ambassades qui supportent le projet, le genre restant un sujet préoccupant en Ethiopie. Un bel exemple ! Seule limite à l’aide internationale : si les matières premières telle l’argile sont locales, les fours de cuisson, quant à eux, viennent d’ailleurs. Résultat : si un problème technique survient, difficile de remplacer la pièce manquante.

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Retour dans le centre. Le temps de négocier à la gare des minibus et nous sommes déposés à proximité de notre dernier lieu de visite : les incontournables Bains de Fasilidas.

L’endroit est stupéfiant par sa sérénité. Bâti loin du centre, entouré d’épais murs d’enceinte, il se fond dans la végétation. Nous y arrivons en fin d’après-midi et sommes les seuls visiteurs.

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Tout autour, d’immenses genévriers aux racines noueuses enlacent la pierre, donnant au site un aspect mystique.

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Un vaste bassin s’étend – vide à cette époque de l’année – et au centre, un grand bâtiment de pierre. Auparavant, les rois et leur cour venaient ici, goûter au calme et se baigner : lieu de détente, donc, mais aussi de cérémonie. En effet, c’est ici que chaque année pour la grande fête de Timqat, des milliers de fidèles se rassemblent. C’est l’Epiphanie, qui a lieu douze jours après Gena, le Noël éthiopien : on y célèbre le baptême de Jésus et la bénédiction de l’eau.

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Le bassin est alors entièrement rempli. La foule se réunit avant l’aurore et j’ai du mal à imaginer cet endroit, si calme, noir de monde. Il y a des gradins au fond : les fidèles s’y massent pour Timqat, tandis que les prêtres se tiennent dans le bâtiment à étages.

Ils aspergent et bénissent les fidèles ; puis, les participants se jettent à l’eau, plongeant tous dans le bassin, concluant la cérémonie.

La fin d’une excursion de cinq jours magnifique ! A bientôt pour de nouvelles aventures !

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