Jeudi, à la pause du midi, nous avons pris la clé des champs – ou plutôt  de la jungle – pour aller déjeuner en forêt. Pas la peine d’aller très loin du bureau : la forêt amazonienne sommeille sous le bitume, dressant ses remparts tout autour de la ville. A peine dix minutes de voiture et nous nous approchons déjà de ses portes.

Il faut savoir qu’à Cayenne, il existe quelques sentiers aménagés le long du littoral, de façon à offrir aux promeneurs des paysages sur la mer ou sur la ville, depuis le haut des nombreux monts qui s’élèvent le long de la côte.

Parmi eux, le sentier du Rorota, qui s’engage dans la forêt, grimpant sur le flanc d’une petite colline sur 350 mètres. Il décrit une jolie boucle de 3,4 km, soit 2h30 de marche environ et offre un superbe point de vue sur la côte.

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C’est Quentin qui joue les guides, habitué des randonnées et des sorties nature. J’ai beau avoir déjà marché en forêt, l’impression de dépaysement est toujours aussi forte. Ici, pas un seul arbre de métropole mais des espèces tropicales à foison, étendant leurs branches au-dessus de nous. Des bananiers, des papayers, des arbres à liane, des bambous, des espèces de palmiers aux troncs recouverts d’épines ; et puis, le bruit de la forêt, propre au milieu équatorial, où se mêlent chants d’oiseaux, vrombissements d’insectes et craquements de branches sur notre passage. Nous ne sommes pas seuls par ici !

C’est Quentin le premier qui nous fait signe de lever les yeux. Là, à une dizaine de mètres du sol, enlacé à une branche, un paresseux baisse la tête vers nous, affichant son sourire de bienheureux.

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Suspendus aux branches des arbres et célèbres pour la lenteur de leurs mouvements, il n’existe seulement que deux espèces en Guyane : les « trois doigts » référence au nombre de griffes de leurs pattes avant réputés pour leur calme et les « deux doigts » bien plus gros, plus vifs… et plus agressifs. Un paresseux ne descend de son arbre qu’une fois par semaine pour faire ses besoins. Il peut perdre alors jusqu’à 40% de son poids !

Julie en aperçoit un quelques mètres plus loin, qui nous tourne le dos. Quentin nous propose de nous conduire jusqu’à son refuge secret : un minuscule sentier qui quitte le chemin principal, invisible pour les non-connaisseurs et qui débouche sur une vue à couper le souffle d’un morceau de forêt et de la côte. Un rocher s’arrache du fouillis végétal : perchée sur ce promontoire improvisé, je profite du paysage.

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Pique-nique sur place. Armé de ses jumelles, Quentin sonde la canopée qui se déploie jusqu’à la plage, en quête d’iguanes.

Les Iguanes sont une espèce de lézards arboricoles et herbivores, qu’on rencontre en Amérique du Sud et centrale. Excellents grimpeurs, ils cherchent la chaleur du soleil depuis la cime des arbres, afin de rester dans sa plage de température entre 29°C et 39°C. Une fois perché sur sa branche, un iguane peut y rester immobile plusieurs heures !

Quentin a l’habitude de les chasser des yeux. Il n’est pas rare d’en apercevoir sur la canopée ou même de les entendre tomber. Car un iguane apeuré ou désirant simplement redescendre de l’arbre qu’il a monté choisit la méthode simple : sauter dans le vide. La bête est incassable, elle peut chuter de 15m sans une égratignure !

Nous n’en voyons malheureusement pas, malgré le soleil haut dans le ciel. Le temps s’éparpille : il est temps de rentrer au bureau.

Sur le chemin du retour, Quentin nous arrête, désignant un arbre proche. Il n’y a pas à dire, c’est bien lui qui a l’œil le plus aiguisé : quand je vois un fouillis de troncs et de feuilles, il parvient à distinguer la silhouette d’un paresseux ; quand mon regard passe sans s’arrêter sur une ligne d’arbres de tailles inégales, il réussit à repérer la queue d’un iguane immobile sur une branche.

Et là, nous découvrons avec stupeur… une bande d’une dizaine de saïmiris, qui apparaissent à travers le feuillage. Plusieurs descendent à hauteur des bananiers adjacents, séparés de nous de la longueur d’un bras.

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Ils ont bientôt disparu dans la forêt.

Le temps file et il nous reste du travail au bureau : pas le temps de faire la boucle, il faut retourner à la voiture. Promis, je reviendrais !

***

Et c’est le lendemain même que je me décide à faire le sentier du Rorota dans son intégralité. Motivation, quand tu nous tiens ! Cette fois, ni voiture, ni collègues de travail pour m’accompagner ; c’est donc seule et à vélo que je quitte la maison.

J’ai pris un jour de congé exprès – ceux que j’avais gagnés après avoir bossé deux week-ends sur le terrain – et me suis levée plus tôt que l’heure habituelle pour aller travailler. Pas le choix : il faut à tout prix éviter les pics de chaleur du début d’après-midi !

Rapidement, je dépasse en vélo les derniers lieux familiers. A moi, l’inconnu ! C’est sous un ciel bleu et un soleil de plomb que je quitte Cayenne en direction de Rémire-Montjoly, la commune la plus proche, puis gagne la route des plages. Il est 9h quand j’arrive enfin après 45min à l’entrée du sentier du Rorota.

Cette fois, j’entame la boucle de l’autre côté. Il n’y a quasiment personne et les températures sont supportables. Plongée dans la forêt.

Des ruisseaux invisibles se frayent un chemin dans les broussailles : leur murmure se mêle aux chants des oiseaux. Il ne se passe pas cinq minutes sans que le Rorota ne me réserve quelques surprises. Là, un lézard vert et rouge qui s’enfuit au son de mes pas ; ici, une enfilade de petites cascades ; là, un parcours sur pilots, quelques ponts qui surplombent une jolie crique sableuse ; ou encore un éclair bleu. Un morpho !

Ni plus ni moins le symbole de la Guyane. Il s’agit d’un genre de papillons parmi les plus grands qui existent – jusqu’à 20 cm d’envergure ! On le trouve dans les profondeurs de la forêt tropicale et le repère aisément grâce à sa couleur bleue métallique de ses ailes.

Je n’ai même pas le temps de dégainer mon appareil photo qu’il a disparu. Récit en photo du parcours.

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Alors que je marche depuis déjà 1h30, j’entends un craquement au-dessus de moi. Une ranche s’agite. Je sonde des yeux le feuillage et repère un saïmiri ! L’animal est en train de déguster une grosse libellule dont il craque les ailes qui tombent au sol, relief de son repas. Je reprends la marche.

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Enfin, j’atteins le promontoire rocheux où je m’assois, prenant une pause bien méritée. Je reste là une bonne vingtaine de minutes avant de repérer un autre saïmiri qui me regarde depuis un arbre proche. Dès qu’il s’aperçoit que je l’ai repéré, il s’enfuit. Je me replonge dans l’observation du paysage. Mon œil commence à s’habituer à repérer les mouvements dans le fouillis végétal car je finis par découvrir sur le même arbre où se tenait le saïmiri une dizaine de minutes plus tôt… un iguane ! Il est tout simplement gigantesque ! Rien à voir avec les gros lézards que j’avais pu voir avant.

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Quand je quitte enfin le sentier à 12h, j’ai donc à mon actif deux saïmiris, un iguane, une bonne dizaine d’éclairs bleus (ou peut-être dix fois le même morpho qui me suivait) mais pas un seul paresseux. J’ai pourtant scruté la cime plus d’une fois mais rien. Niet. Seul Quentin peut les voir !

Je reprends donc mon vélo pour rentrer. Et, sur la route, attirant l’œil des passants, agrippé à un grillage… Un jeune paresseux !

Yahoo ! Posant mon vélo sur le bas-côté, je m’approche si près de lui que je n’ai qu’à tendre la main pour le toucher. Monsieur prend la pose. Il s’agit d’un « trois doigts », les plus calmes.

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Une femme s’approche et m’explique qu’il vient juste de quitter son arbre et qu’elle a dû barrer la circulation pour qu’il traverse la route. Des passants en voiture s’arrêtent et tentent de le soulever par l’arrière, pour le prendre et le ramener de l’autre côté mais il s’agrippe à sa clôture.

Quand je quitte l’animal à regret, il est toujours enlacé à son poteau, provoquant un bouchon sur la route tant les voitures s’arrêtent pour le prendre en photo.

Une journée ordinaire en Guyane ?