Dans une cave poussiéreuse, parmi d’autres trésors oubliés, existe une série de livres à la reliure rouge parcourue d’un liseré doré. Leurs couvertures sont ornées de dessins de ballons, de navires, de machineries étranges, avec au loin des monstres polymorphes, le tout grouillant sous des cieux annonciateurs de catastrophes soudaines ou d’aventures inoubliables. Au premier plan, un homme s’avance crânement, brandissant un objet pourfendeur, de corps ou d’ignorance. D’autres figures l’entourent, mais c’est lui seul qui semble détenir la clé pour s’extraire de ce capharnaüm.

Ouvrir l’un de ces livres est courir le risque de s’exposer à l’écriture de l’un des maîtres de l’évasion, de l’inconnu que l’on explore et dévore à pleines dents.

En attendant la reprise ou l’initiation de cet acte physique qui consiste à s’immerger cœur et âme dans un livre de Jules Verne, conquérons son univers via le musée qui lui est dédié à Nantes, ville dont il est originaire.

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Avant même l’entrée dans le bâtiment surplombant la Loire qui abrite ce musée, deux statues constituent une entrée en matière touchante. Jules Verne enfant, le menton appuyé sur l’un de ses genoux replié sous lui, regarde pensivement son futur personnage, le capitaine Nemo.

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Œuvres d’Elisabeth Cibot, 2005

Une fois au sein du musée, le visiteur est d’emblée mis devant le fait accompli : le succès de cet auteur, incarné par un buste barbu, succès commercial lui ayant permis d’accumuler de son vivant divers signes extérieurs de richesse (fauteuils, bibelots, tableaux, …). A ce portrait de l’âge mûr succède aussitôt l’enfance, bercée par la Loire et les navires la chevauchant quotidiennement.

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Vue sur Nantes depuis la butte Sainte-Anne (emplacement actuel du musée)

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Citation de Jules Verne

Sa famille apprécie les arts et les lettres, et son père est si bienveillant qu’il lui apportera un soutien continu durant ses années de bohème sur Paris. Il répond même à l’une de ses lettres envoyées en quête d’argent par les vers suivants :

« Tes vers ont bien de l’agrément

Mais ils seraient bien plus charmants

S’ils ne me coûtaient 60 francs. »

Féru de science comme ses parents, le petit Jules joue au Robinson dans les îles de Loire, et ne quitte déjà plus son crayon. Cette phrase du guide fourni à l’entrée m’a marquée : « Les premiers souvenirs transmis intacts à l’adulte par un enfant rêveur sont bien le creuset de l’œuvre à venir. » Je ne pourrais pas mieux l’exprimer, malgré une certaine méfiance vis-à-vis de l’atavisme. Il faut reconnaître dans ce cas précis que les éléments fondateurs de ce qu’est pour nous Jules Verne étaient réunis dès son enfance.

La descente vers le sous-sol où sont exposés les exemplaires originaux des Voyages extraordinaires permet d’admirer une fresque dessinée en l’honneur de Jules Verne lors des Utopiales.

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L’un des livres présentés (Le Tour du Monde en 80 jours)

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Dessin de bibliothèque inspiré de l’univers de Jules Verne

La visite s’achève sur l’histoire des deux Jules, dont j’ignorais tout. Pierre-Jules Hetzel, éditeur de son état, eut un rôle déterminant dans la carrière littéraire de notre Jules. C’est avec lui qu’il fut lié par cinq contrats successifs afin de délivrer la série des Voyages extraordinaires. Leur relation fut souvent houleuse, mais elle eut surtout l’heur de permettre à l’auteur une création en toute quiétude, s’en remettant entièrement aux talents commerciaux de l’éditeur pour tout ce qui ne concernait pas l’écriture pure.

Pierre-Jules n’hésitait pas à remanier le style, à donner son avis sur intrigues, personnages, choix de situations, …. Ce rapport ambigu n’est pas forcément de mon goût, car elle s’apparente à une forme de censure, mais il ne faut pas oublier à quel point la dimension marketing a contribué au succès de l’œuvre. Elle explique cette forme étonnante de collaboration artistique, qui laissait parfois place à une amitié sincère.

Au sortir du musée, le visiteur se prend à rêver, lui aussi. Il contemple la Loire et ses abords d’un nouvel œil, en imaginant grandir sur ses flancs, plein d’énergie et d’espoirs. Soudain, un arc-en-ciel s’esquisse au loin, au-dessus de la ville en contrebas. Comme un pont vers le monde mystérieux de l’imaginaire.

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