Lorsque je suis arrivée en Guyane, je n’avais qu’une crainte : souffrir de la terrible saison des pluies et son apogée aux mois de mai et juin. Ici, les averses tropicales ont de quoi faire frémir… La hauteur moyenne annuelle des précipitations plafonne à 3000 mm quand Paris affiche une hauteur de 650 mm par an !

 Grossièrement, on peut diviser le climat équatorial guyanais en deux saisons : la saison des pluies, s’étendant entre mi-novembre et début juillet ; et la saison sèche le reste de l’année, avec un pic de chaleur en octobre.

 Ci-dessous, les moyennes annuelles en termes de température et pluviométrie à Cayenne :

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On observe généralement au mois de mars une brèche dans la saison humide où les jours de ciel bleu reprennent le dessus sur la pluie : c’est le petit été de mars.

Cependant, durant la grande saison des pluies – période de mon stage – les averses violentes peuvent provoquer des inondations et rendre les routes impraticables. Le mois de juin, le plus pluvieux, est d’ailleurs le mois de fermeture annuelle des commerces. De quoi être prévenu !

Cette année, le petit été de mars s’est bien senti, suite aux mois pluvieux de janvier et février. Le souci, c’est que le ciel bleu s’est maintenu depuis, le soleil entrecoupé de quelques averses violentes… mais pas de quoi annoncer la grande saison des pluies ! Aubaine pour les vacanciers et les week-ends excursions, mais une catastrophe pour les agriculteurs et les écosystèmes si la sécheresse venait à s’attarder.

Pour expliquer ce phénomène, un mot revient sur toutes les lèvres, empreint de mystère : El Niño. A force d’entendre prononcer son nom, j’ai fait mes petites recherches… Lumière sur un phénomène aux répercussions planétaires !

Alors qui est El Niño ?

El Niño – comprendre : l’enfant Jésus – désigne une perturbation à grande échelle du climat Pacifique tropical. Il apparaît généralement au milieu de l’année et peut durer plus d’un an et demi pour atteindre son apogée aux alentours de Noël, d’où son nom.

Le phénomène reste encore en partie inexpliqué. Il affecte les vents, la température de la mer et les précipitations : de grande ampleur, El Niño a des répercussions sur toute la planète bien qu’il soit difficile de relier tous les effets qu’il génère. Quoi qu’il en soit, l’enfant terrible est capable de modifier la route de cyclones tropicaux, déplacer les zones de sécheresse et de précipitations, même changer localement le niveau de la mer ! Ses apparitions restent également très aléatoires, tous les 2 à 7 ans.

Pour comprendre ce phénomène, il faut regarder à l’est de l’Amérique du Sud, le long des côtes du Chili, Pérou et Equateur. Là, s’étire paresseusement le courant froid de Humboldt. Ce cher Humboldt est balayé en permanence par les alizés, ces vents réguliers des régions intertropicales. Ils poussent vers le Nord les eaux chaudes des rivages : pour combler le « vide » généré, les eaux froides remontent alors des profondeurs, sorte de mise à l’équilibre appelée upwelling. Ces eaux froides sont chargées de nutriments faisant le bonheur du plancton et donc de la faune locale.

C’est sans compter l’intervention d’El Niño : à l’origine un courant côtier au large du Pérou, il va enfler de façon anormale et empêcher la remontée des eaux froides. Se met alors en place dans la partie est du Pacifique une gigantesque masse d’eau chaude où les températures sont de 2 à 5°C plus élevées que la moyenne. Véritable mise à mort pour le plancton, le phénomène fait s’effondrer les chaînes alimentaires, les poissons disparaissant des côtes.

Anomalies de températures à la surface des océans (en °C) lors d’El Niño en 1997elnino_temp(Source : NOAA. — National Centers for Environmental Prediction, US)

Premier effet domino immédiat : le réchauffement de l’océan dans cette zone, et donc le réchauffement de l’air humide, favorise le déplacement des pluies vers l’est de l’Amérique du Sud.

D’où le lien avec la Guyane ? Difficile à répondre. Quoi qu’il en soit, pour résumer de façon grossière, le passage d’El Niño s’accompagne d’un climat plus sec et plus chaud au niveau du département d’outremer.

Cette conséquence en est une parmi d’autres. Si l’on regarde en arrière, sur El Niño passé de 1997, la petite terreur a provoqué à elle seule des sécheresses et des feux de forêts en Indonésie et des déluges en Californie ; une tempête record a aussi cette année-là fait des ravages  dans le Sud-Est des États-Unis. D’ailleurs, selon le rapport de l’ONU, « El Niño a en 1997-98 fait plusieurs milliers de morts et blessés, et provoqué des dégâts estimés entre 32 et 96 milliards de dollars ».

Hélas, l’enfant terrible a une sœur… La Niña, qui fait l’exact contraire de son frère. Au lieu de perturber l’ami Humboldt, elle l’encourage : renforçant les alizés qui poussent les eaux chaudes vers le Nord, la Niña favorise la remontée des eaux froides des profondeurs – ou phénomène d’upwelling. Les anomalies de température enclenchées (eau anormalement froides) sont à l’origine de dérèglements du climat mondial : typhons dans l’océan Pacifique ouest, ouragans, sécheresses dans l’est de l’Amérique du Sud.

En Guyane, l’année sera exceptionnellement plus pluvieuse qu’à l’ordinaire.

Le phénomène El Niño/ la Niña, un mystère qui peine encore à être levé ?