Lalibela est la ville sainte d’Ethiopie. Située en région Amhara, c’est un haut lieu de pèlerinage pour les Chrétiens orthodoxes : en effet, ses onze églises monolithes sont d’une beauté et d’une signification exceptionnelles, autant pour les fidèles que les voyageurs de passage, le secret de leur construction restant un casse-tête pour les historiens. Ces édifices tailles dans la roche figurent parmi les plus grandes réalisations de l’architecture chrétienne, toutes époques confondues.

Lalibela et ses églises ont été classées patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 1978.

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C’est aux aurores que je retrouve Yui à la gare routière. Lalibela étant située à 5h de Debre Tabor, nous avons décidé de nous y rendre en transport public. La première partie du voyage doit nous conduire à Gashena, une ville étape ; puis, en vieux bus, rallier la ville sainte le long d’une piste plus ou moins dégagée.

C’est la première fois que je quitte Debre Tabor pour l’Est, dans une direction opposée à Bahir Dar et le lac Tana. Ce matin heureusement, la chance nous sourit : nous embarquons en quelques minutes – quand il avait fallu patienter 1h30 pour Gondar le temps que le minibus se remplisse. Le soleil se lève à peine que nous sommes déjà partis, c’est pour dire !

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Le paysage de campagne se découpe entre champs, terrasses et montagnes. Quelques cours d’eau que nous passons, cahin-caha sur les ponts de pierre, les forêts restant inexistantes.

Au loin, un cavalier monté sur un cheval blanc galope à bride abattue, coupant à travers les champs dorés. Je m’endors un instant.

Passé la petite ville de Nefass Mewtcha, de grands eucalyptus viennent border la route. Derrière la barrière végétale : le vide. Un précipice de roche ocre, quelques broussailles, des toits aux tôles argentés brillant en contrebas. Le paysage déchiqueté est plongé dans la brume qui s’efface sous les rayons du soleil. C’est pour ces moments magiques que je suis là ! Il est 9h.

Et toujours, sur la route, les gens qui marchent. L’Ethiopie, pays des marcheurs… Nous sommes samedi, jour de grand marché et hommes, femmes, enfants et bêtes de somme se rendent en ville, marchant parfois plusieurs heures depuis leur maison en campagne. Porter, des heures durant, un lourd bois long de quatre mètres, le vendre pour une poignée de birrs, assez pour survivre quelques jours, puis recommencer, encore et encore.

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Bientôt, nous entrons dans le creux des montagnes. Bahir Dar et ses rizières sont décidément bien loin ! La route serpente entre les falaises de rocs. Au sommet, une église faite de pierres roses, ses murs peints aux couleurs du pays. Nous grimpons, toujours plus haut, surplombant le paysage.

A partir de Gashena, nous quittons l’asphalte pour une route de terre battue et de cailloux. Le bus s’agite et il faut s’accrocher pour ne pas valser dans le couloir central. Nous nous enfonçons dans la campagne

Le paysage, jusqu’alors vert et ocre, se transforme en terres désolées. La sécheresse sévit véritablement ici plus qu’ailleurs : les rivières sont réduites à de minces filets d’eau et les monts sont couverts d’acacias desséchés aux feuilles brûlées par le soleil. De quoi prendre conscience de ce qu’est une terre sans eau : un sol craquelé, des branches sèches partout, pas une tache de vert à l’horizon. Effrayant.

Après 2h30 de route, bringuebalés dans tous les sens, nos voisins lancés dans une folle eskesta, la musique amharique mise au plus haut volume, nous atteignons dans un ultime sursaut – et avec un soulagement général – Lalibela.

La petite ville de 25 000 habitants est bâtie à flanc de montagne – 2600m d’altitude, similaire à Debre Tabor. Nous rallions notre pension par bajaj en quelques minutes : le chauffeur – signe que Lalibela est bel et bien empoisonnée par un tourisme de masse – nous demande 150 birrs pour la course. Le même prix Debre Tabor-Lalibela cinq heures ! Pauvre fou ! Nous lui rabattons le caquet en amharique. Bon point d’être volontaire en Ethiopie !

Notre guide, Tadese, nous rejoint à la pension Blue Nile Hotel. Simple, confortable et à prix abordable, elle est idéalement située dans le centre. Nous y posons nos affaires.

Après déjeuner, nous partons explorer la ville. Surplombant le vide, les grands hôtels donnent vue sur le panorama de la vallée au sud. Nous nous arrêtons un instant pour contempler le paysage. La route s’étire comme un serpent à flanc de coteau, des camions au loin dégageant un nuage de poussières, grimpant péniblement vers Lalibela.

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Nous sommes rejoints par deux locaux, amusés de nous voir parler amharique. Ils nous font visiter le village adjacent à la ville, Coyita, dont l’un d’eux est natif. Sur le sentier, nous rencontrons une mère et sa fille qui reviennent du marché. Comme nous discutons, elles nous invitent à passer à leur maison, pour partager le repas. Nous nous rendons donc chez elles et goûtons un plat de meser typique, des lentilles avec une sauce épicée, arrosé des trois cafés comme le veut la coutume. Un très bon moment !

De retour dans le centre-ville, nous prenons la direction de Ben Abeba, le restaurant dont on m’a vanté les mérites depuis mon arrivée en Ethiopie. Tenue par une écossaise, c’est typiquement le genre d’établissement où vous êtes en droit de vous demander quel genre de substances illicites architectes et designers ont pris avant de se pencher sur les plans.

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Bâti en haut d’un sommet rocheux, il domine toute la vallée. Un escalier tournoie au centre et mène aux différents étages dressés en coupole, des terrasses individuelles à leur sommet, aux vues et panoramas à couper le souffle. Nous y dégustons notre dîner dans les lueurs du soleil couchant. Ce soir, les nuages ont pris d’assaut l’horizon. Quand la nuit tombe, pas une seule lumière bien que la vue porte à plusieurs centaines de kilomètres ! Lalibela est bel et bien perdue entre les montagnes.

Retour à la pension. Demain : à la découverte des églises !

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C’est à 8h que nous retrouvons notre guide face à la porte principale du site religieux. Nous sommes dimanche et la messe a commencé tôt ce matin. Une foule en blanc s’est immobilisée sur la grande place et écoute le prêtre qui s’adresse en guez et amharique aux fidèles. En Ethiopie, les messes sont très statiques : pas question de changer de place ou de se déplacer une fois la cérémonie débutée.

Depuis trois semaines, le carême de Pâques a débuté : il durera en tout un mois et demi. Pas de viande, lait ou autre nourriture animale tolérée (même chose pour les relations sexuelles – en théorie) ; de plus, aucun «divertissement » type musique ou tambour accompagnant les prêches dans les églises.

Nous déambulons en silence à travers la foule blanche qui s’est établie autour de la première église : Bete Medhane Alem (« la Maison du Sauveur du Monde »). Notre guide entame son récit.

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Lalibela a été établie au Xe siècle. La progression de l’islam et le déclin d’Aksoum déplacent le centre de gravité de l’Ethiopie chrétienne plus au sud, dans la province de Lasta. C’est le début de la dynastie des Zagoué. Parmi les rois zagoué les plus illustres : le roi Lalibela (1190-1225).

Le roi tient son nom de sa naissance : l’enfant serait né, entouré par des abeilles – Lalibela « Lal » miel et « ebeulal » mange, autrement dit le mangeur de miel ou honey eater. A noter que le miel de la ville est réputé pour être le plus pur d’Ethiopie !

Une prédiction le destine à être l’un des plus grands rois du pays. Effrayé, son grand frère Gebre Maryam, redoutant qu’il ne prenne le pouvoir à sa place, orchestre une tentative d’empoisonnement. Au lieu de perdre la vie, le futur roi Lalibela tombe dans un profond sommeil de trois jours et trois nuits, durant lesquels des anges l’emmènent au paradis. C’est Dieu lui-même qui ordonne alors à Lalibela de bâtir les églises.

A l’époque, en raison des conquêtes musulmanes, les chrétiens éthiopiens avaient de plus en plus de difficulté à effectuer des pèlerinages à Jérusalem. A son réveil, les plans des églises en tête, le roi Lalibela décide donc d’entreprendre la création d’une « nouvelle Jérusalem » en Afrique : la ville sainte de Lalibela.

Le mystère quant à sa construction reste entier. En effet, les églises n’ont pas été édifiées de manière traditionnelle, mais creusées en blocs monolithiques. La roche, appelée tuf, est une roche rougeâtre généralement tendre, résultant de la consolidation de débris volcaniques. « Dans ces blocs, on a ensuite dégagé des portes, des fenêtres, des colonnes, différents étages, des toits, … Ce travail de titan a ensuite été complété par un vaste système de fossés de drainage, de tranchées et de passages pour les processions avec, parfois, des ouvertures vers des grottes d’ermites ou des catacombes. » UNESCO

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Elles sont toutes dressées au centre de puits de 7 m à 12 m de profondeur.

D’après le récit, les onze églises de Lalibela auraient été bâties en vingt-trois ans seulement, par le roi lui-même, aidé d’artisans, avec de simples outils. De jour, les hommes creusent la pierre ; de nuit, les anges poursuivent la tâche.

Nous pénétrons à l’intérieur de Bete Medhane Alem. Avec ses cinq nefs, elle est considérée comme la plus vaste église monolithique au monde. Chaque dimanche matin, une grande croix d’or – la croix de Lalibela – est portée par un prêtre, afin de soigner et purifier les fidèles. Hommes, femmes et enfants font la queue dans l’église, attendant leur tour : la croix leur est passée sur le visage, les bras, le corps.

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Nous nous déplaçons dans la fraîche pénombre de l’église. Chacun des édifices religieux possède trois sections :

mahalet, la première section, dédiée aux chants et à la musique (vide en cette période de carême) ;

kedist, la section principale où est offerte the Holy Communion ;

megdes, sanctuaire et cœur de l’église où seuls les diacres et les prêtres peuvent pénétrer. C’est là qu’est gardée la réplique de l’Arche d’Alliance, le tabot. Il ne quittera son refuge qu’une fois par an, pour Timqat, la célébration du baptême de Jésus.

A noter que selon la croyance orthodoxe éthiopienne, la véritable Arche d’Alliance est gardée au Nord de l’Ethiopie, au sein de la ville d’Aksoum.

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Trois autres églises adjacentes nous attendent, reliées à Bete Medhane Alem par de fins tunnels creusés dans la roche : Bete Maryam (la « Maison de Marie »), Bete Meskel (la « Maison de la Croix ») et Bete Dengel (la « Maison des Vierges martyres »).

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Les décorations intérieures sont superbes et retiennent notre attention un long moment, notre guide Tadese prenant soin de nous décrire chaque représentation. En effet, Tadese est un ancien diacre : il officiait au sein de Bete Dengel. Nous rencontrons le prêtre de l’église qui le connaît bien et se lance dans de grandes explications en amharique, notamment concernant l’histoire de la Vraie Croix, celle où Jésus a été crucifié. Partagée, elle a été remise à cinq pays : l’Ethiopie aurait reçu le morceau de bois correspondant au bras droit du Christ. La relique est gardée aujourd’hui près de la ville de Dessie, plus au Sud.

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Près des murs, un bassin d’eau : c’est le bain de la fertilité. Chaque 7 janvier du calendrier éthiopien, hommes et femmes n’arrivant pas à concevoir un enfant plonge à trois reprises, à l’aide d’une corde, dans ces eaux de 9m de profondeur.

La deuxième groupe d’églises se situe davantage vers l’ouest, avec les églises Bete Debre Sina, Bete Mikael et Bete Golgota. Cette dernière renferme dans une pièce interdite aux femmes une sculpture en pierre du corps de Jésus Christ… Trois mètres plus bas repose la tombe du roi Lalibela lui-même. Personne, hormis diacres et prêtres, ne peut y poser les yeux. Sachant que Tadese est un ancien diacre, nous ne pouvons pas nous empêcher de lui poser la question. Il nous répond avec un sourire : “Yes, I have seen it but I cannot tell you anything or describe you anything. But one thing is sure: when you see it, you can feel that New Jerusalem is there.”

C’est à l’extrémité de Bete Golgota, que se trouve la « tombe d’Adam ». Nous grimpons ensuite au sommet des roches, afin de bénéficier d’une pleine vue sur les églises et le paysage.

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Prochaine église : Bete Giyorgis. La plus connue et la plus célèbres des églises de Lalibela assurément ! C’est aussi la plus jeune. En forme de croix, ses murs sont épais afin de soutenir l’édifice : à l’intérieur, l’espace est réduit, peintures et représentations dédiées à Saint-Georges qui est représenté sur un cheval, tuant d’une lance le célèbre dragon.

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Comme l’heure du déjeuner approche, Tadese nous propose de manger chez lui. Marié depuis un mois, sa femme est un vrai cordon bleu et nous sert un repas gargantuesque de carême.

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Comme il est de coutume en Ethiopie, la femme travaille à la maison : elle cuisine, fait le ménage, la lessive, bref remplit toutes les tâches ménagères. Elle ne partage pas le repas avec nous, se contente de nous servir, se replie dans la cuisine pour préparer le café. Je m’étonne tout de même de ce comportement : Tadese est un guide ouvert, la maison est moderne, le couple aisé et pourtant, les traditions persistent.

L’après-midi, nous visitons les trois dernières églises situées au sud du fleuve baptisé le « Jourdain » : Bete Amanuel (« la maison d’Emmanuel »), Bete Abba Libanos (« la maison de l’abbé Libanos ») et Bete Gabriel Rafael (« la maison de Gabriel-Raphaël »).

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Reliées par des galeries, l’un d’eux – 35m de long – doit être traversé sans lumière. C’est donc dans le noir complet que nous nous enfonçons les uns à la suite des autres, la tête courbée, suivant de la paume de la main le mur de pierres. Il faut tenir sa droite : près de nous, avançant en sens inverse, des fidèles nous frôlent, murmurant des prières en amharique. Nous arrivons de l’autre côté après quelques longues minutes de traversée. Lors de Gena, le Noël Ethiopien, les fidèles sont si nombreux à emprunter les galeries que passer ce tunnel peut durer parfois une demi-heure, dans l’obscurité la plus totale, pas à pas avec la foule.

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Retour en ville. Nous fuyons la chaleur de l’après-midi à l’ombre d’une terrasse. Il y a de nombreux étrangers : c’est bien la première fois en Ethiopie que je vois autant de farenjis rassemblés au même endroit !

Le soir, apéritif à Torpido, la tedj bet de la ville réputée pour sa boisson au miel. Un délice ! Nous faisons l’impasse sur le dîner, retournant à la pension.

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Le lendemain, réveil tôt, le temps de prendre un copieux petit-déjeuner en ville : jus de mangue et avocat, salade gargantuesque de fruits et légumes, et ambesha, ce pain épais local, qui nous est servi encore fumant.

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Sac sur le dos et baskets aux pieds, nous prenons le sentier qui mène à Asheten, la montagne proche dont le sommet tutoie les 3300m d’altitude. Le monastère d’Asheten-Mariam y est bâti – l’entrée est cependant payante. Après les visites de la veille, nous ne nous y rendrons pas ; c’est pour le panorama que nous entamons l’ascension.

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La route, très accessible, est empruntée : nous croisons hommes et femmes, les bras chargés, descendant vers la ville. En effet, un village a été construit en haut de Asheten et ses habitants ont l’habitude d’aller et venir, pour chercher ce qui leur manque au marché. Des vieilles femmes, pieds nus sur les rocs, guident leurs ânes à flanc de falaises.

Après près de 2h de montée, nous dépassons l’église et poursuivons le chemin à travers les pins. Lorsque nous atteignons le second plateau, la vue est plus belle que jamais. La ville se blottit entre les monts, les montagnes tout autour, couvrant même l’horizon. Des champs, des morceaux de forêts, des terrasses desséchées.

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La fin d’une excursion décidément pleine de surprises !

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