Un nouvel article d’Éthiopie : je vous propose de m’accompagner dans les montagnes du Simien, réputée pour être le toit de l’Afrique. Votre sac est prêt ? Vous avez de bonnes chaussures ? Alors, c’est parti, en route !

Le Simien est un héritage naturel, vieux de plus de 40 millions d’années qu’éruptions volcaniques et érosions ont façonné au cours du temps. Arrivant 10e au classement des plus hauts monts d’Afrique, les montagnes du Simien sont un passage obligé : on ne peut pas quitter l’Ethiopie sans s’y arrêter ! Créé en 1969 sur 179km², le parc national accueille les visiteurs désireux de partir à l’aventure, puis différents gites ponctuent les nombreux trails possibles. Sac sur le dos, les marcheurs s’élancent à l’assaut des sommets et peuvent admirer une faune et flore plus riches que jamais, avec deux animaux symboles d’Ethiopie : le babouin gelada (population estimée à 5000 individus) et l’ibex walia (1100 individus). Sans oublier le très rare loup d’Abyssinie (100 individus à peine au sein du parc). Le Simien renferme également le mont Ras Dashan à 4 543 m, plus haut sommet du pays.

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Je m’y suis rendue le week-end de mon anniversaire, en compagnie de Yui et Tetsuya, deux amis et volontaires japonais travaillant dans le pays.

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Debre Tabor se réveille

Premère étape : le minibus pour quitter Debre Tabor. Il nous faut un peu plus de deux heures vers le Nord pour rallier Gondar, ancienne capitale du pays à une lointaine époque.

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Nous retrouvons dans le centre de Gondar notre organisateur Abebe, notre voiture-jeep d’excursion et notre chauffeur Yohannes. Sans oublier le cuisinier auquel nous avons fait appel, Zetegn, qui a fait les courses pour nous juste avant de partir : au moins deux gros cartons de nourriture en tout genre, plus un énorme sac de pains et un immense cabas de légumes – de quoi tenir au moins un mois !

Direction la petite ville de Debark, à deux heures de Gondar, située au pied des montagnes, véritable portail du Simien. Avant d’entrer dans le parc, passage obligé par l’office du tourisme : paiement des coûts d’entrée, recrutement d’un rangers pour assurer notre protection et guide obligatoire. Money, money ! Les billets nous filent entre les doigts ! Notre cuisinier recrute de son côté un assistant pour l’aider : nous voilà donc trois farenjis et 5 habeshas (éthiopiens). Nous allons bien être huit et ce, tout au long du voyage. Du jamais vu ! Notre nouvelle famille pour trois jours !

Notre guide, Afera, sera notre principal interlocuteur. Son anglais est impeccable, très bon point. La jeep prend le chemin de sable, de gravas et de pierres qui monte vers les montagnes et nous voilà partis. Pour l’instant, le Simien nous reste caché et nous guettons à chaque tournant les premiers sommets. Enfin, nous arrivons face à une immense porte, aux faux-airs du portail d’entrée de Jurassic Park. Nous y sommes : les Simiens pour de vrai !

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Premier face à face avec les singes gelada (Theropithecus gelada), endémiques au pays, postés face à un point de vue à couper le souffle. On les rencontre sur tous les hauts plateaux d’Erythrée et d’Ethiopie – soit à plus de 3000m d’altitude. Ils se nourrissent de graminées, de brins d’herbe et de jeunes pousses ainsi que dans le sol qu’ils grattent en permanence à la recherche de racines. Les mâles portent une crinière imposante ; les femelles une tache rose sur la poitrine qui leur a valu le nom de « babouin à cœur qui saigne ».

La route redescend pour mieux remonter, suivant la crête des montagnes. Sur le chemin, les arbres défilent, comme je n’en ai encore jamais vus : minces, aux troncs d’une superbe couleur ocre, portant un feuillage sombre parsemé de fleurs jaunes. Finalement, la jeep s’arrête face au précipice et nous sortons admirer le paysage. Des chaînes de montagnes, plongés dans une brume irréelle et paraissant s’étendre à l’infini sous le soleil doré de l’après-midi. La randonnée commence !

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Notre guide donne le rythme, notre rangers – fusil en bandoulière – fermant la marche. Le chemin facilement praticable suit la falaise et nous permet d’admirer des points de vue à n’en plus finir, d’une beauté sans pareille. Conséquence de l’altitude élevée (3200m alors), le moindre effort me coûte. Les pentes, même les plus faibles, me laissent sans souffle. Pour autant, aucune difficulté à signaler : l’oxygène est rare, voilà tout. J’ai l’impression d’être âgée d’au moins cent ans !

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Alors que nous avançons, à travers des portions tantôt d’arbres tantôt d’herbes hautes, nous arrivons au beau milieu d’une horde de geladas, pas moins d’une bonne centaine. Ils nous acceptent sans problème, les plus jeunes jouant autour de nous comme si de rien n’était. Juste magique ! La fourrure crème des mâles est superbe et nous nous agenouillons parmi eux, profitant de l’instant.

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Lorsque nous reprenons la route, nous suivons la ligne des falaises, seuls dans le paysage. Le soleil se couche derrière nous, éclairant de derniers rayons éparses les chaînes en contrebas. Nous croisons parmi les herbes hautes un groupe d’antilopes (Menelik’s Bushbucks – elles doivent leurs noms à l’ancien roi, premier à parler de conservation), sans parler des dizaines d’oiseaux de toutes les couleurs et des rapaces qui planent au-dessus du précipice.

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J’ai comme l’impression d’être revenue en Guyane où chaque minute apporte son nouveau lot de surprises quant à la découverte de la faune et flore.

Nous achevons la marche jusqu’au premier camp où nous passerons la nuit : Sankaber campsite. La jeep est déjà là et le cuisinier à l’ouvrage. Thé réconfortant tandis que lumière et température déclinent : notre guide en profite pour nous confier les contes et légendes sur le Simien. Lorsque nous préparons nos lits et sacs de couchage à l’intérieur de l’abri, une coupure d’électricité nous surprend. Cuisine au feu de bois !

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Petite pause poétique… From Red Sea to Blue Nile, a Thousand Miles of Ethiopia, Rosita Forbes, 1925

« Le plus grandiose de tous les paysages abyssins nous est apparu comme nous regardions des nuages, d’un violet améthyste aux pics du Simien.

Il y a mille ans de cela, quand les anciens dieux régnaient sur l’Ethiopie, ils ont dû jouer aux échecs avec ces gigantesques rochers escarpés… Nous y devinons les mitres des fous taillées dans le lapis-lazuli, des tours rouge rubis au soleil couchant qui s’approchait de leurs créneaux, un cavalier émeraude là où la forêt escaladait la roche et, très loin, un roi couronné de saphir gardé par une rangée de pions…

Lorsque les dieux ont troqué leur jeu contre des boucliers afin de combattre les hommes qui vociféraient des réclamations à leur encontre, ils ont changé les pièces de leur échiquier en montagnes.

Au Simien, elles se dressent enchanteresses, jusqu’à ce que le monde redevienne païen et que les titans et les dieux se penchent à nouveau du bord des nuages pour parier une étoile ou deux sur leurs parties. »

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Le samedi, réveil une heure après le lever du soleil. Confort ultime : notre cuisinier a tout préparé pour le petit-déjeuner. Au menu, œufs brouillés, café, thé, pain, Nutella et confiture !

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Lorsque nous levons le camp, notre guide et notre ranger nous entraînent vers les falaises. Le reste de la famille part en voiture pour le prochain point de ralliement, avec nos sacs et bagages ; en effet, la jeep a cet avantage : celui de porter pour nous nos affaires superflues pour la marche, type sacs de couchage, couvertures et nourriture. Autre option pour les randonneurs qui ne veulent pas s’embarrasser d’une voiture et vivre le Simien à fond : partir avec des mules – et un muletier – qui porteront leurs affaires en cours de route !

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Parés à partir, nous empruntons donc le trail pour la matinée. Le chemin se poursuit vers l’est, flirtant avec le vide et les points de vue. Percevant notre intérêt, notre guide concentre son discours sur faune et flore : rapaces et oiseaux, fléau des plantes invasives, coutumes allopathiques, informations en pagaille sur les espèces endémiques d’Ethiopie. Après avoir gravi un petit mont, nous redescendons dans une sublime forêt d’acacias, suivant le lit d’un ruisseau asséché. Et là, surprise : nous débouchons sur un large à-pic rocheux qui donne directement vue sur… une cascade !

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L’eau qui circule au fond de la vallée qui nous fait face, chute brutalement des hauteurs (Jinbar waterfall – 520 mètres estimés) dans un grondement ténu. La saison des pluies derrière nous, le débit est faible mais reste tout de même sacrément impressionnant ! Nous repérons également d’autres points de cascade, secs en ce moment. En saison des pluies, la vision doit laisser sans voix !

  • Pommier de Sodome : ou Calotropis procera (embuhaï en amharique). C’est un arbuste qu’on trouve en Afrique et en Moyen-Orient, poussant dans les zones arides. Au Maroc, on lui donne le nom sans équivoque d’arbre de Satan : en effet, le Calotropis est terriblement toxique, au niveau de son latex en particulier. Ses fruits, à la forme de petits pommes, ont cependant des vertus médicinales et sont encre utilisés par de nombreux tradipraticiens. Le parc lutte actuellement contre ces plantes, procédant à de grandes éradications.

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  • Red hot pocker : ou Plante africaine, repérable entre mille par les couleurs chatoyantes de sa fleur, de forme allongée, aux teintes jaunes, orangées et rouges, rappelant celles du feu. La fleur produit des quantités importantes de nectar, d’où son attrait pour les abeilles et les colibris.

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  • Rosa abyssinica : rose endémique d’Ethiopie.

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  • Aloe Vera : en Ethiopie, on l’utilise en campagne pour contrôler l’allaitement. En effet, si une femme retombe enceinte peu après avoir eu un premier enfant, elle s’appliquera de l’Aloe Vera sur le sein afin de repousser le premier bébé et garder du lait pour le second.

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Puis, retour à la voiture pour rallier le prochain camp – Chenek campsite, 3620m d’altitude. La route longe l’autre flanc des montagnes : celui-là est terrassé et dompté par l’homme, d’immenses champs dorés d’orges ondulant sous la brise. Effrayant de voir à quel point les deux flancs contrastent l’un avec l’autre. Nature sauvage contre agriculture…

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La route serpente comme jamais, surplombant une nouvelle vallée parsemée de villages reculés du monde. Nous croisons de nombreux troupeaux ; des randonneurs aussi, accompagnés de plusieurs mules qui cavalent en tête.

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A l’approche de Chenek, la route tutoie les nuages qui glissent paresseusement sur les crêtes. Nous faisons une halte face à un nouveau point de vue plongé en grande partie dans la brume. C’est Korobet Mataya – l’endroit où jeter les peaux, en amharique. En effet, c’est de ce point vertigineux que les ennemis du Derg étaient jetés dans le vide après avoir été tués, afin de se débarrasser des corps…

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Nous gagnons à pied le camp. Chenek est situé au centre du Simien : les randonneurs y viennent à pied ou en voiture pour y passer la nuit, avant d’entamer le lendemain la montée du mont Ras Dashan à 4 543 m.

Le camp est perdu au beau milieu de nulle part : entre les montagnes, au pied d’une rivière qui accueille des hordes de lobélias géants, ces étranges arbres afro-alpins qui offrent un décor étonnant. Plante endémique, elle peut grimper jusqu’à 10m. Elle n’aura qu’une fleur au cours de sa vie, au bout de sept ans, puis elle mourra.

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  • Helichrysum : rassemble les différentes espèces d’immortelles. Rien de bien exotique me direz-vous. Sauf lorsqu’on les trouve à plus de 3200m d’altitude !

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Rien de plus beau que la vision d’immenses tapis d’immortelles blanches, grimpant à flanc de montagnes dans le Simien et flirtant avec des lobélias géants.

  • Aigle ravisseur : (Aquila rapax). Il doit son nom à sa façon de se nourrir : en effet, en plus d’attraper ses propres proies, il vole celles d’autres oiseaux !

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Le camp est aussi l’endroit idéal pour observer geladas, ibex walias et bien sûr, le rarissime loup d’Abyssinie. Appelé aussi loup d’Ethiopie (Canis simensis) ou kebero en amharique, c’est assurément l’un des canidés les plus rares au monde : 500 individus estimés à l’état sauvage (aucun en captivité) dont une centaine au sein du parc national du Simien. Endémique d’Ethiopie, il habite les hauts plateaux du pays (3000m d’altitude). Un Programme de conservation du loup d’Éthiopie a été mis en place pour sauvegarder l’espèce, qui souffre des maladies transmises par les chiens et de la disparition de ses habitats naturels par les pâturages et l’agriculture. Aurons-nous la chance de l’apercevoir ?

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Nous posons nos sacs et profitons pour admirer les alentours. Les panoramas sont incroyables ! Par chance, nous repérons un groupe de douze Ibex Walias, ou bouquetin d’Abyssinie, (Capra ibex walie) qui paissent tranquillement en contrebas. C’est le seul caprin d’Afrique subsaharienne, dont le maintien a été rendu possible par le climat tempéré des montagnes et plateaux éthiopiens. Ce bouquetin fait partie des espèces les plus menacées au monde. La faute au braconnage mais surtout au grignotage de ses zones d’habitat par l’homme et l’agriculture. L’extinction a été évitée de justesse dans les années 60 (150 individus en 1969 !). Aujourd’hui, la population s’est largement agrandie ; cependant, le risque est toujours présent, pâturages et cultures continuant de s’étendre. C’est sans doute le plus grand challenge du parc : parvenir à trouver le juste équilibre entre les zones à sauvegarder (faune et flore si fragiles…) et les habitants qui s’attachent à ces terres et survivent d’élevage et d’agriculture.

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Dans le ciel, un grand rapace se laisse porter par un courant ascendant : c’est le gypaète barbu – Gypaetus barbatus –un oiseau des montagnes et une espèce qu’on retrouve également sur d’autres continents (présents dans les Pyrénées et en Himalaya notamment). Il doit son nom à une épaisse touffe de plumes qui lui souligne son bec. On l’appelle également « bones breaker », casseur d’os, ou Quebrantahuesos en espagnol. En effet, il a pour coutume de jeter les os (les plus gros de préférence) depuis les hauteurs pour qu’ils se brisent sur les falaises, afin d’avoir accès à la moelle dont il raffole.

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Alors que nous revenons vers le camp, nous surprenons la silhouette d’un Ibex Walia au loin. L’animal déambule autour des tentes et dévore les broussailles sans prêter attention au petit attroupement qui s’est formé plus loin, les marcheurs s’extasiant à sa vue. C’est un bachelor, un mâle indépendant, aux cornes si caractéristiques de l’espèce. Il est gigantesque !

Des geladas lui tournent autour : ici, les singes sont habitués à l’homme. Trop peut-être : à Chenek, ils peuvent se révéler agressifs en présence de nourriture – mauvaise habitude d’anciens voyageurs qui les ont habitués à être nourris. Notre guide nous a même conseillé de fermer les fenêtres de notre chambre car certains babouins pouvaient entrer et voler des sacs pour les fouiller à la recherche de quelques douceurs !

Avant de rejoindre nos sacs de couchage, Yui, Tetsuya et moi prenons le temps d’admirer le ciel. Les étoiles sont plus nombreuses que jamais ! Quelques filantes – nous repérons Orion, Vénus et Saturne également.

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Réveil à 6h. Le temps d’enfiler vêtements chauds et chaussures de marche et nous partons vers l’à-pic rocheux au nord du campement afin d’admirer le lever de soleil sur le Simien. L’astre se lève derrière la montagne la plus proche ; la lumière ruisselle sur le paysage, frappant d’abord les hauts sommets puis coulant dans la vallée en contrebas, tachant d’or tout ce qui se trouve sur son passage.

Nous grimpons à flanc de montagnes, suivant comme de coutume la ligne des falaises. Je reprends mon souffle à chaque point de vue, tandis que chaque pas nous éloigne davantage du camp qui finit par disparaître derrière le versant de la montagne. Au sommet, nous prenons le temps d’admirer le panorama. Au loin, une horde de geladas a sympathisé avec plusieurs femelles Ibex Walia. Mais pourquoi n’ai-je pas pensé à emmener des jumelles ?!?

Lorsque nous retournons au camp, tout le monde est sur le départ. Le temps de faire mes affaires et je profite une dernière fois du calme de l’endroit. Quelques geladas plus loin discutent dans les herbes hautes tandis que les lobélias géants occupent les berges de la rivière.

Yohannes, notre chauffeur, donne le départ : tout le monde en voiture ! Il nous faut 1h30 de route pour rallier Debark et quitter le parc. Les nuages ont englouti le paysage. La route, qui flirte avec le vide, disparaît en conséquence derrière un épais brouillard à couper au couteau, digne de certains automnes nancéiens ! Nous roulons au pas.

Nous saluons à Debark notre guide et notre ranger ; puis 2h de route plus tard et nous quittons à regret cuisinier et chauffeur à Gondar. Notre famille s’est bel et bien dissolue !

Bilan ? Une aventure extraordinaire ! Loin de jouer les challengers et nous lancer à l’assaut du haut Ras Dashan, nous avons privilégié au cours de notre excursion la marche tranquille, agrémentée de points de vue et de contemplation de la faune et flore si riches du Simien – sachant que le trajet Sankaber à Chenek est celui qui offre les plus beaux panoramas du parc. Aux faux airs de Grand Canyon, cette chaîne de montagnes considérée comme le toit de l’Afrique (si, si ! Et le Kilimandjaro en serait le pic) a de quoi laisser sans voix. Et sans souffle également – à pareille altitude, une bonne condition physique est indispensable ! Un regret cependant : ne pas avoir aperçu le loup… si rare ! Une seule solution donc : revenir !

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