Ah, Sevilla ! Fille de trois religions, qui l’une après l’autre ont tenté de gommer les traces de leur prédécesseur sur tes terres, tu ne peux cacher entièrement les influences arabes qui parcourent tes veines, sous cet épais fard catholique. Elles sont tangibles, palpables, en des détails ou des évidences, depuis les airs ou parmi tes ruelles. Malgré les efforts des Rois Catholiques, nous admirons encore aujourd’hui ton passé.

Le fleuron de cet héritage musulman est l’Alcázar, dont la sublime visite m’a conquise.

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L’Alcázar de Sevilla est un monumental ensemble palatial ceint de murailles et de jardins. Les styles mudéjar et Renaissance y sont majoritaires, l’originalité de cet édifice résidant dans son exceptionnelle diversité, puisque toutes les époques paraissent y avoir déposé leur témoignage respectif.

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Entrée de l’Alcázar

Aux origines de l’Alcázar, il faut évoquer sa construction sous la dynastie des Omeyyades d’Espagne, à partir de 844, plus précisément sous le règne d’Abd-al-Rahman II (822-852). Cet émir, grand mécène, est réputé pour avoir été un chef d’État extrêmement cultivé, qui a su garantir l’établissement de la paix sur son émirat.

Sa cour accueillait alors les plus grands savants et poètes de l’Orient, et il soutenait les échanges d’ouvrages scientifiques et de livres d’art entre les régions. Sa fin fut moins paisible que son règne, puisque ses quarante-cinq fils s’affrontèrent dans des intrigues d’une complexité démesurée en vue de sa succession. Après moult rebondissements rocambolesques, dont une tentative d’empoisonnement, il fut décrété que son fils aîné Mohammed lui succèderait.

Pour l’Alcázar, quelques siècles de calme s’ensuivirent, durant lesquels les différents émirs se contentèrent d’apporter leur patte à l’édifice, dans une simple perspective d’embellissement.

Le premier chamboulement eut lieu sitôt la Reconquista achevée, sous le règne du roi Alfonso X de Castilla, qui ordonna la construction du Palacio gótico sur une partie de l’Alcázar préexistant, jugé par trop mudéjar. Pedro I, quant à lui, à la suite du féroce tremblement de terre ayant détruit une grande part de Sevilla, y adjoignit un palais de style mudéjar que nous verrons plus avant. Charles Quint a une nouvelle fois modifié les lieux au 16ème siècle, par le truchement d’une annexe conçue dans le style de la Renaissance italienne, tout en étant parsemée de Renaissance espagnole et de mudéjar.

 Ce qui se présente à nos yeux aujourd’hui n’a donc plus grand-chose à voir avec ses origines, i.e. son apparence de l’époque Al-Andalus. Son intérêt réside in fine dans cette juxtaposition des styles, ces traces successives du passage de souverains, maîtresses, émirs, princes, reines… Véritable livre à ciel ouvert, chaque pas nous en fait tourner une page.

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Une exposition sur les éventails nous accueille sitôt entrés, dotée de très belles pièces d’exception.

albañicolesA l’étage, le Palacio Alto, classé au patrimoine national, fut la résidence des Rois Catholiques, et cette vocation lui est restée, sept siècles après. Les appartements furent décorés au 18ème siècle, et sont encore aujourd’hui utilisés par la famille royale d’Espagne.

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Petit avant-goût des azulejos sévillans, qui feront l’objet d’un prochain article tout entier, du fait de leur abondance dans la ville.

Redescendons à présent dans le Patio de la Montería, carrefour des différentes parties de l’Alcázar.

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Vue sur la Catedral depuis le Patio de la Montería

La façade du Palacio du roi Pedro I est la porte d’entrée vers un univers où le style mudéjar sera prégnant en chaque recoin, chaque détail du plafond ou des arcades.

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Il fut construit entre 1356 et 1366 à l’initiative du roi Pedro I, puis transformé à plusieurs reprises; tout d’abord à l’époque des Rois Catholiques, et dans les siècles qui ont suivi. D’après de récentes fouilles archéologiques, il aurait lui-même été érigé sur des constructions antérieures.

La création de ce bâtiment fut portée par le désir de vie privée de Pedro I, las de la dimension très protocolaire du Palacio gótico qui lui faisait face. L’ensemble s’articule autour de deux poumons: le Patio de las Doncellas (des Demoiselles), dédié à la vie publique, et le Patio de las Muñecas (des Poupées), réservé au cercle des intimes.

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Naviguer parmi les salles et galeries qui composent ce palais est un enchantement. Des azulejos ornent les plinthes, les plafonds de style mudéjar donnent le tournis par leur délicatesse toujours exquise, et l’ensemble est harmonieux au possible.

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Au cœur de ce dédale, nous voici dans le Patio de las Doncellas, pièce maîtresse, chef d’œuvre de l’art mudéjar andalou.

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Ce Patio abrite un bassin rectangulaire bordé de jardins. Une impression trompeuse de simplicité pourrait nous envelopper, mais ici, tout repose dans les détails. Il faut être aux aguets, prêts à toutes les surprises.

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Autre clou du spectacle,  les Baños de Doña María de Padilla furent construits pour la favorite de Pedro I. Issue d’une famille fortunée, elle aida celui dont le règne fut marqué par d’incessantes querelles avec la noblesse du pays à s’assurer le soutien de la petite noblesse et de la communauté juive.

Le corps de María, que Pedro a fréquenté tout au long de sa vie, contraste marqué avec ses deux mariages malheureux – il est sans doute utile de mentionner que notre Pedro a abandonné chacune de ses épouses peu de jours après leurs noces-, fut transféré à sa requête dans la chapelle royale de la Catedral de Sevilla, où la dépouille du roi repose également.

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Les fameux Baños

Ces Baños sont des réservoirs d’eau de pluie accessibles depuis les jardins de l’Alcázar. La légende veut que l’aile protectrice de María de Padilla se pose sur ceux osant s’y baigner, par-delà la mort.

Les immenses jardins de l’Alcázar sont de style mauresque et Renaissance. Ils sont ravissants, et y déambuler, quand bien même la chaleur n’est pas forcément au rendez-vous – le soleil est fourbe à Sevilla, vous faisant croire à des températures bien supérieures à la réalité-, est très agréable.

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Pabellón de Carlos V, dans le Jardín de la Cruz

Toutes sortes de plantes exotiques composent ces jardins (palmiers, orangers, citronniers, …). Elles ont été importées en Espagne par les explorateurs dits « du Nouveau Monde », monde qui n’a cependant pas attendu les Européens pour exister.


Notre tour de l’Alcázar s’achève ici, sous les doux rayons caressant ses jardins.

Nous nous retrouverons très vite pour explorer plus avant Al-Andalus!