Le mois de juillet à Cayenne est presque un mois comme les autres. Les élèves ont quitté les classes pour de bon, les profs se préparent à partir effectuer leurs vacances en métropole, la fin du mois annonce le début en fanfare de la saison sèche et l’arrivée des touristes – quoique pour cette année, El Niño a changé la donne.

Un mois comme les autres donc… sauf que sur les plages de la ville, l’activité atteint son comble, surtout lorsque le soleil a disparu derrière l’horizon. Là, à presque un mètre en dessous de la surface, des milliers d’œufs se craquèlent. A Cayenne, comme sur les autres sites de pontes d’Amérique du Sud, un baby-boom se prépare.

Nous sommes en juillet, soit deux mois ou plus environ après les premières pontes des femelles tortues luth. Encore, des mères s’extraient des vagues pour pondre, croisant en sens inverse des tous jeunes nouveau-nés d’une dizaine de centimètres qui rampent vers le large.

Chaque jour, des bébés tortues gagnent les eaux brunes. Ils passent un peu plus d’un jour à creuser le sable pour sortir à l’air libre (en moyenne, le nid est recouvert de 80cm de sable) : cette étape, obligatoire, les aguerrit à la survie.

Une fois dehors, les bébés tortues  vont se diriger vers le point le plus lumineux, l’horizon et la mer qui reflète les rayons solaires (d’où l’importance des moindres sources de lumière aux abords de la plage qui pourraient les perturber).

tortue_bébé

Les éclosions semblent plus nombreuses au crépuscule, et pendant la nuit, que le jour même – du moins, celles auxquelles j’ai eu la chance d’assister. En effet, les jeunes tortues sont sensibles au gradient de température du sable : trop chaud, ils arrêtent l’ascension, de peur de sortir en plein jour et s’exposer aux prédateurs.

Une fois emportés par les vagues, les nouveau-nés ne sont pas encore au bout de leur peine. Proie facile sur la terre comme dans l’eau, leurs chances de survie sont faibles.

Les études scientifiques sur leur migration ont montré que chaque année, les animaux quittaient les eaux tropicales pour les eaux polaires, à la recherche de spots de méduses, pilier de leur alimentation. C’est d’ailleurs l’une des raisons quoi font de la tortue luth un maillon important de la chaîne alimentaire : réduisant les populations de méduses grandes consommatrices d’alevins, elles ont un effet positif sur celles de poissons.

Inscrites sur la liste rouge (danger critique d’extinction) de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature UICN, les populations de tortues luth diminuent pourtant sensiblement ces dernières années. On estime leur nombre à 100 000 individus.

La prédation animale importante (crabes, oiseaux, mammifères) explique en partie le statut d’espèce en voie de disparition de la tortue luth ; les autres raisons sont d’origine anthropique :

– la chasse : la chair de l’animal réputée comme toxique, les braconniers s’attaquent plutôt aux œufs, convoités pour leurs propriétés aphrodisiaques ;

– la pollution des eaux : les sacs plastiques sont la première cause de mortalité, confondus avec des méduses ;

– la perturbation des lieux de ponte ;

– les filets qui prennent les individus au piège : j’ai pu le constaté moi-même la semaine dernière sur la plage où le corps d’une mère venue pondre  reposait sur le sable, la tête prise dans un filet, à quelques mètres de l’emplacement du futur nid.

La France a fait de la tortue luth une espèce protégée dont la vente et la chasse sont interdites.

tortue_bébé2