Ce samedi marque le début d’un périple de cinq jours de voyage. Plus de 1300km au total, à parcourir pour rallier l’est du pays, c’est pour dire ! L’Ethiopie, riche de cultures et paysages, nous réserve de nombreuses surprises : de la vallée du Rift et ses champs de laves aux savanes africaines et portes du désert du Danakil, nous allons plonger en pays musulman – à la rencontre des peuples Afar et Harari. Même après plus de sept mois en région Amhara, je m’apprête à perdre mes repères. Une autre facette de l’Ethiopie…

Aujourd’hui, nous avons 215km à parcourir jusqu’à Awash, ville-étape.

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Au sud de la capitale, nous faisons un arrêt à Debre Zeyit – en amharique Mont des Oliviers. Cette ville de taille moyenne renferme cinq lacs d’origine volcanique, formés au sein de sublimes caldeiras.

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C’est face au lac Babogaya que nous nous asseyons un instant. Ses berges encore sauvages sont dévorées par des troupeaux de figuiers de Barbarie.

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Ce cactus recouvert d’épines blanches est originaire du Mexique. Cultivé pour son fruit, la figue de Barbarie, riche en vitamine C, la plante a aussi un rôle important dans la lutte contre l’érosion des sols.

Debre Zeyit passée, nous pénétrons dans la vallée du rift : un étonnant paysage désertique où broussailles et acacias se développent sur une terre faite de rocs et poussières.

Aparté géologique : l’Ethiopie est située sur la vallée du grand rift, un ensemble géologique de failles, dorsales et rifts de près de 6000km de longueur et 50km de largeur.

En effet, la vallée du rift africain coupe en deux la corne de l’Afrique : la plaque africaine, à l’ouest, s’éloigne de la plaque somalienne, à l’est, avant de se diviser, au sud, de part et d’autre de l’Ouganda.

L’actuelle géologie du pays doit sa naissance à un évènement géologique majeur survenu il y a 35 millions d’années : l’effondrement de l’écorce terrestre, dû à l’élévation de la plaque arabo-éthiopienne. La Mer Rouge a alors envahi alors la dépression formée au nord-est de l’Ethiopie, en Erythrée centrale, au sud de Djibouti et un morceau de Somalie : c’est la dépression de l’Afar (ou dépression de Danakil), une des zones les plus chaudes, les plus arides et les plus stériles du globe. C’est aussi une zone sismiquement active avec la présence de failles et de volcans qui contribueront à la création d’une mer intérieure, évaporée aujourd’hui en laissant derrière elle des lits de sels.

Nous n’aurons pas la chance de pénétrer dans le terrible désert du Danakil – trop loin, trop cher et surtout, très dangereux. Hors de question d’y pénétrer sans militaires !

Le désert est proche et ça se sent : en plus des habituels troupeaux de chèvres, zébus et moutons, des dromadaires apparaissent dans le paysage. Là, grignotant des broussailles ; plus loin, guidé par des hommes, portant de lourdes charges.

Sur le bord de la route, marchands de citrouilles et de pastèques attendent patiemment le client.

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Nous suivons la ligne de train qui rallie Addis à Djibouti. Deux voies : la récente, encore en construction, bâtie par les Chinois ; et l’ancienne, abandonnée, voie mythique débutée à la fin du 19e siècle par la Compagnie des Chemins de Fer Ethiopiens… soutenue par les français – eh oui, la SNCF de l’époque était aussi en Ethiopie ! Qui l’aurait cru ? Nous y reviendrons plus tard au cours du récit.

Nous gagnons bientôt Nazret, la capitale de la région Oromo. Réunissant près de 25 millions de personnes, c’est l’ethnie majoritaire en Ethiopie (40% de la population). Les Oromo vivent dans la région fédérée Oromia, la plus grande du pays en termes de superficie, et dans le nord du Kenya. Ils parlent l’afaan oromo ou oromiffa. Nous faisons halte pour déjeuner.

Nazret est une ville verte où flamboyants, hibiscus et bougainvilliers fleurissent de tous côtés. Nous dégustons le poisson grillé, arrosé de Harar, la bière homonyme à notre ville de fin de périple, si célèbre dans la région.

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Flamboyant : voilà un arbre qui ne laissera personne indifférent ! Planté en ornement, ses fleurs rouges lui ont donné son nom. Le flamboyant est originaire de Madagascar.

Lorsque nous reprenons la route, la température a encore grimpé. Le paysage est toujours aussi sec. Le sol est tailladé de fissures et de crevasses, assez grandes pour laisser passer un troupeau, comme si un géant avait frappé la terre d’un coup de couteau, zigzaguant entre les acacias.

Puis, et alors que les premières montagnes surgissent à l’horizon, de gigantesques plantations de cannes à sucre sortent de terre. Un océan de vert, dans un paysage pourtant si sec : plus loin, la rivière Awash permet l’irrigation. Ce cours d’eau de la vallée du grand rift et de la dépression de l’Afar coule vers le nord, se jetant dans le lac Abbe, un lac salé situé sur la frontière entre l’Ethiopie et Djibouti.

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Ici, les terres de l’est sont touchées par la deuxième plus grande sécheresse de l’histoire du pays. Depuis la famine de 1984, il s’agirait de la pire sécheresse depuis cinquante ans. A qui la faute ? Le phénomène météorologique El Nino (pour plus de détails, se référer à l’article guyanais écrit à son sujet). La sécheresse – et la crise alimentaire déployée en conséquence – frappe en majeure partie la région Afar à l’est et Borena au sud du pays.

Nous avalons le bitume à vive allure. Courant parallèlement à la route, la vieille voie ferrée dessine un tracé parfait dans la savane. Des babouins olive, perchés en haut des arbres et des rochers, nous regardent passer.

Nous nous arrêtons pour faire face à un champ de lave d’un noir contrastant avec la terre ocre de la savane.

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Face à nous, le lac Beseka, qui a engloutit une partie des laves. Sur les berges, un marabout chasse le poisson.

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Grands échassiers des latitudes tropicales – hauts d’1m à 1m50 – les marabouts évoluent en Afrique subsaharienne et au sud de l’Asie. La tête a tous les atours d’un vautour, hormis le bec qui reste long et massif ; le dos et les ailes sont noirs. Bien que le marabout chasse par lui-même, il garde malgré tout un comportement charognard.

Enfin, nous arrivons sur le territoire du parc National d’Awash.

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Le plus ancien parc du pays : créé en 1966, il représente un espace protégé d’un peu moins de 800km² ! Situé à cheval sur les régions Afar et Oromia, c’était l’ancienne réserve de chasse du roi Hailé Sélassié. Le parc est connu pour ses étonnants paysages, plateau de savane, volcan et canyon, ainsi que son éventail d’animaux sauvages.

Comme bon nombre de parcs ou zones protégées en Ethiopie, les règles de conservation et de protection de la faune et de la flore se heurtent aux mœurs des ethnies qui vivent là depuis toujours. Entre les acacias, des huttes rondes de bois traditionnelles, recouvertes de bâches, fleurissent çà et là, formant de petits villages nomades. Ici vit le peuple des Afar, une communauté d’un peu plus d’un million de personnes (4% de la population), séparée en clans et formant l’Etat Afar de la fédération éthiopienne, situé dans la dépression du Danakil entre la ville d’Awash, Djibouti et des îles d’Erythrée. Nous sommes à l’extrême sud de leur région.

Les Afar parlent le Afar-Af et professent la religion islamique. Autour de leur cou, une amulette, avec des extraits du Coran. Ils croient également aux démons et aux esprits maléfiques et gardant une certaine liberté par rapport aux préceptes religieux. Les hommes portent la jupe – cheret en amharique – et les femmes sont enveloppées dans de grands tissus colorés. Les Afar sont avant tout des éleveurs (chèvres et dromadaires principalement). Le bétail dicte le mouvement : les villages s’implantent quatre à cinq mois à un endroit puis se déplace vers des terres plus favorables.

Comme au Simien, pas question d’entrer dans le parc sans rangers, fusil à l’épaule. Les portes passées, nous nous glissons en voiture entre les acacias. L’œil est aux aguets : le safari commence.

La piste est faite de sable et nous avançons au pas. Premier animal croisé : la pintade de Numidie. Œuvrant en groupe, cet amusant et farouche gallinacé possède des plumes noires à points blancs, et une crête de couleur bleutée.

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A travers les arbres et le feuillage d’épines des acacias, une petite ombre se profile soudain. Ce que je prends pour un bébé antilope se révèle être un dik-dik.

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Absolument adorable ! Il est rare d’en apercevoir : en effet, ces antilopes naines, ne dépassant pas les 40cm de taille, sont d’une vivacité impressionnante et filent au moindre danger. Le nom « dik-dik » vient d’ailleurs du bruit qu’elles font lorsqu’elles s’enfuient. On les trouve principalement en Afrique de l’Est, dans les grandes plaines et les forêts. A noter qu’un dik-dik passera toute sa vie avec un compagnon : on dit que lorsque l’un du couple meurt, le dik-dik survivant succombera au chagrin…

Après de longues minutes sur la piste, le grondement de l’Awash se manifeste. Nous arrivons face aux chutes. Bien que nous ne soyons pas encore entrés dans la saison des pluies, le débit reste très impressionnant.

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L’eau ocre, chargée d’alluvions, chute des hauteurs, allant nourrir le courant en contrebas. Sur les berges de roches, un crocodile du Nil prend le soleil.

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D’une taille moyenne de 4m, le crocodile du Nil fait partie des plus grands crocodiles du monde. Il chasse dans l’eau, s’immobilisant comme une statue, ne laissant dépasser que tête et narines, jusqu’au passage d’une proie qu’il atteint en se propulsant à l’aide de sa queue. C’est un excellent nageur et un bon coureur : en effet, il peut atteindre 17 km/h en se déplaçant à terre !

Lorsque nous nous arrachons aux spectacles des chutes pour remonter en voiture, quatre koudou surgissent des arbres et traversent la piste dans des bonds agiles. Le petit koudou se rencontre en Afrique d’Est et est une antilope fine et élancée. Herbivore, il raffole des acacias et se déplace toujours en famille. Pour échapper au prédateur, il peut atteindre des pointes de vitesse jusqu’à 70km/h, c’est pour dire !

Halte près des eaux turbides de l’Awash. Un babouin olive lorgne notre pastèque : nous lui en offrons quelques morceaux qu’il vient grignoter sur le banc, à quelques mètres de nous.

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De retour à la voiture, nous suivons la piste qui mène au canyon. Le sol est terriblement sec ; ne poussent que les acacias qui parsèment le plateau.

Nous croisons plusieurs gigantesques tortues, âgées probablement d’une centaine d’années.

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Puis, au détour du chemin, nous nous arrêtons net : première rencontre avec le majestueux oryx.

Doté de longues cornes et d’un pelage d’un beige qui se fond dans le paysage, cet animal est d’une beauté à couper le souffle. Grand et élancé, on le trouve en Afrique et dans la péninsule Arabique.

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L’espèce était en voie d’extinction à la fin du dernier siècle ; ce n’est plus le cas aujourd’hui grâce aux efforts de conservation. A notre approche, il s’efface entre les arbres.

Enfin, nous atteignons le rebord du canyon.

Au sommet, trône l’ancienne résidence d’Haile Sélassié, aujourd’hui en voie de devenir un lodge. Il avait même fait construire une piscine qui surplombe directement le panorama ! En contrebas, les eaux grondantes de l’Awash se frayent un chemin entre les rocs. La vue est superbe, gorgée de lumière.

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A travers les arbres, un mouvement : nous roulons au pas et surprenons… un phacochère ! Ce mammifère herbivore et solitaire est bien connu grâce au Roi Lion. Il habite les savanes africaines.

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Doté d’une épaisse crinière qui lui recouvre le dos et de deux redoutables défenses, il peut peser jusqu’à 100 kilos !

Le jour commence à tomber lorsque nous achevons notre boucle à travers le parc. Acacias et savane se parent des rayons du soleil couchant. Nous discernons au loin les silhouettes d’un groupe de petits koudous.

Et soudain, un nouvel oryx apparaît. Il n’est pas seul : avec lui, avance une gazelle de Sommering. Petite antilope agile et taillée pour la course, elle habite les steppes et les régions chaudes d’Afrique. Les mâles portent des cornes à anneaux. Pour les admirer, mieux vaut privilégier le matin ou le crépuscule, lorsque la température est la plus basse.

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La gazelle est un animal si rapide qu’elle peut distancer tous ses prédateurs – exception faite du guépard, plus véloce. A noter que le terme gazelle vient du persan ghazâl, qui signifie « élégante et rapide ».

Lorsque la nuit tombe, nous trouvons refuge à la ville d’Awash pour passer la nuit. Demain, l’aventure continue !