Plongés dans une chape bleutée, vous cheminez les mains enfouies dans vos poches, le nez blotti dans son corset de laine. Les nappes du sommeil vous enveloppent encore, reliques d’une nuit aux échos de bruissements et de cris perçants.

Ces sons lointains, les voici qui ressurgissent! Par centaines, par milliers, par dizaines de milliers! Levez les yeux au ciel, et des géantes se révèleront à vous, zébrant le ciel encore précoce.

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L’aube pointe au col de l’horizon, en des fumets colorés qui envahissent peu à peu le firmament. A vous croire plongés dans un Turner, incapables de décrocher les yeux des hauteurs.

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Soudain, une étendue lacustre à perte de vue, comme saupoudrée de volatiles innombrables. Certains décollent, d’autres atterrissent, et le spectacle dans les airs est tout simplement époustouflant.

Bienvenue au lac du Der!

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Ancré au cœur de la Région Champagne Ardenne, le lac du Der-Chantecoq est avec ses 4800 ha le plus grand lac artificiel de France. Il fut créé en 1974 afin de régulariser le cours de la rivière Marne, et est classé en Réserve Nationale de Chasse et de Faune Sauvage, gérée par l’ONCFS. Il est très vite devenu un haut-lieu de stationnement des anatidés, grues et limicoles.

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Cette vaste zone humide a en effet tout pour leur plaire: les vasières découvertes à la fin de l’été sont prisées par les limicoles, quand la végétation qui les recouvre à l’automne retient les canards durant l’hiver. La Grue cendrée, emblème des lieux, a quant à elle adopté les îles au centre du lac, où elle se repose de nuit.

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Le lac fait donc le bonheur des oiseaux comme des ornithologues, qui sont tapis sur ses rives, armés de leurs objectifs et autres guides de détermination, ainsi que d’une bonne dose de courage, car les températures sont fort peu clémentes!

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Crédits photo: Étienne Clément
 

Saluez votre hôte, la Grue cendrée!

Ne vous y trompez pas, vous êtes ici chez elle, et elle aura force de le démontrer par ses cris incessants.

© Rainbirder, CC BY-NC-SA 2.0

Crédits photo: © Rainbirder, CC BY-NC-SA 2.0
 

D’une envergure de deux mètres à deux mètres cinquante, la Grue cendrée (Grus grus) porte un plumage gris ardoisé, complété de plumes noires. Le haut du cou, la gorge, le front et la nuque sont également noirs. Une tache blanche s’étire des yeux jusqu’à l’arrière du cou.

Après l’élevage des jeunes, en août et septembre, nombre d’entre elles se rassemblent sur l’île suédoise d’Öland. De là, elles gagnent la côte sud de la Mer Baltique. Fuyant l’arrivée du froid qui les empêche d’accéder à leur nourriture, les grues migrent alors vers le Sud.

Leur vitesse de vol varie entre 40 à 70 km/h en fonction des vents, et leurs déplacements s’effectuent à des altitudes comprises entre 200 et 1000 m.

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Crédits photo: Étienne Clément
 

Concernant leur stratégie de vol en période migratoire, les grues gardent cou et pattes tendus, et se déplacent en formation (en V). Les grands groupes recouvrant le ciel sont guidés par un individu qui prendra place à l’arrière lorsque l’épuisement se fera ressentir.

Pour l’anecdote, Palamède, héros grec de l’écriture, aurait imaginé deux lettres de l’alphabet grâce aux dispositions de vol des grues: il s’agirait du V et du Y. De cette légende découle la désignation possible des grues sous le terme « d’oiseaux de Palamède« .

Leurs haltes couvrent essentiellement le nord-est de la France: Lorraine, et surtout Champagne. La dispersion finale s’effectue sur les grandes zones d’hivernage du sud-ouest de l’Espagne (en Extremadura). A l’exception de quelques milliers de grues séjournant en France, ou au contraire s’aventurant jusqu’au Maroc, toutes passent l’hiver sur la péninsule ibérique.

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Crédits photo: Nicole Bouglouan
 

Le lac du Der est devenu un passage obligé pour ces grandes migratrices. Son pouvoir attractif, qui s’explique par la tranquillité des environs et l’abondance de nourriture sous la forme de chaumes de maïs, incite 30 à 70 % des oiseaux à arrêter leur choix ainsi que leur vol sur ce site.

La Grue cendrée étant très active à l’aube, le spectacle est particulièrement remarquable au petit matin, sur le lac du Der. Des comptages sont quotidiennement effectués par la LPO Champagne-Ardenne, afin d’évaluer les tendances des effectifs et de mettre en place des mesures de conservation adaptées. Le 11 novembre dernier, le record a été pulvérisé, puisque 206 000 grues y ont été dénombrées !

Un havre de paix menacé

La chasse abusive, ainsi que la destruction de sites de nidification via l’assèchement de marais, ont éliminé entre 1880 et 1965 les populations nicheuses de grues de toute la moitié sud de l’Europe.

L’espèce semble aujourd’hui à l’abri de l’extinction, même si de graves dangers la menacent. Elle dépend en effet de plus en plus des productions agricoles, risquant ainsi de s’empoisonner, du fait de l’utilisation de produits phytosanitaires sur celles-ci.

A cette dépendance s’ajoutent les lignes électriques, qui réduisent les effectifs de façon dommageable. Des solutions existent pour limiter ces confiscations à une espèce qui est, rappelons-le, protégée. Dialoguer avec les parties prenantes est la première étape indispensable.


Découvrez les oiseaux du lac avec la LPO Champagne-Ardenne,

accompagnés d’animateurs qui sauront vous éclairer:

champagne-ardenne.lpo.fr/lacs/journee_der.htm


Notre parenthèse au lever des grues s’achève ici;

bientôt, des photos mondialement couronnées !


 Sources:

www.indrenature.net/documents/sons_nature/grues.mp3,

champagne-ardenne.lpo.fr/grues/point_sur_la_migration.htm,

www.birdlife.org/datazone/species/factsheet/22692146

www.lpo.fr/actualite/migration-des-grues-cendrees-record-battu-sur-le-lac-du-der

et www.oiseaux.net/oiseaux/grue.cendree.html